Les Éclats (The Sharps), Bret Easton Ellis, 2023

Chronique, Juillet 2024

 ©Photo de Levi Jones sur Unsplash

Je suis tombée il y a peu – sur le conseil de ma chère Pascale – sur le dernier roman de Bret Easton Ellis. Pure autofiction où apparaît une quantité importante d’informations sur ses débuts en tant qu’écrivain à la fin de ses années lycées, sur fond de vie débridée parmi la jeunesse dorée de Los Angeles.

 ©Photo de Andre Tan sur Unsplash

On suit le récit de Bret qui revient sur des événements traumatiques qui se seraient produits au cours de l’année 1981, dont il nous livre une version pour le moins douteuse tant apparaît avec évidence sa paranoïa maladive, nourrie par un souci constant de jouer le rôle qu’on attend de lui dans la société. Homosexuel sous couverture, toxicomane chic en Ray-Ban Wayfarer et polo Ralph-Lauren, se foutant de tout sauf du roman qu’il écrit, à tel point qu’il finit par confondre son imagination avec la réalité, c’est en fait une descente aux enfers à laquelle nous assistons en premières loges grâce à l’écriture à la première personne. Par-là Ellis revisite l’éternel mystère de l’écriture : est-elle rempart ou pont vers la folie ?

Et en musique de fond cette fameuse esthétique de la torpeur qui l’obsède et qui caractérise pour lui la saveur de ses années étudiantes dans le Los Angeles des années 80. La jeunesse des Éclats y vit une vie surréaliste, pétée de thune et complètement blasée qui roule à fond dans les canyons au volant de voitures de sport, un univers de Preppies en mocassins défoncés presque H24, mais qui déchantera brutalement face à l’horreur qui va s’abattre sur le petit groupe de gens populaires dont fait partie le narrateur. Ellis adore faire débarquer l’horreur dans les univers les plus chics, il jubile de confondre les ultra-riches avec la sauvagerie grâce à une écriture très crue et très directe qui ne craint pas de décrire les scènes avec un maximum réalisme quitte à mettre mal à l’aise.

©Photo de Peter Thomas sur Unsplash

Mon seul regret est d’avoir pu entrevoir le dénouement de l’histoire bien trop tôt (même si quelques détails dans le chapitre final sont censés laisser planer un doute et alimentent quelques théories de fins alternatives; pour moi la mayonnaise ne prend pas), il faut dire aussi que maintenir le suspense à 100% aurait relevé d’un tour de magie dans ce style d’écriture totalement immersif, que le roman, à l’origine destiné à être diffusé par épisodes sous format audio, aurait été écrit un peu dans la précipitation et qu’il aurait peut-être mérité d’être retravaillé davantage avant sa publication. Sur ce plan-là, Ellis n’est pas parvenu à égaler King.

Ce que j’ai en revanche trouvé remarquable dans les Éclats, est la maîtrise d’Ellis pour l’autofiction, et la façon dont il la manie pour donner du sens à l’histoire et en même temps à la réalité dans un entremêlement judicieux. Puiser dans son passé, notamment à travers des protagonistes très fortement inspirés de sa vie réelle (cf Putting faces to names: The Shards : r/BEEPodcast (reddit.com) ) leur donne une profondeur et une vraisemblance troublante. La fiction devient une extrapolation de la réalité destinée à lui donner un sens, à la magnifier ou en faire une satire.

Dans la liste de mes « unpopular opinions », je reconnais apprécier l’auteur aussi pour son authenticité et son refus de ne pas se plier à la tyrannie du politiquement correct, quitte à faire scandale. Quoi qu’on en dise, je trouve que la démarche nous offre une bouffée d’oxygène dans un climat intellectuel toujours plus policé qui pousse à édulcorer pour ménager toutes les susceptibilités, alors que l’écriture devrait être un territoire de tous les possibles. Un lieu pour transgresser. Je pèse mes mots.

©Photo de Freddy Kearney sur Unsplash

Je crois d’ailleurs qu’on a tort de réduire la pensée d’Ellis à la violence parfois provocante de ses récits – je vous rassure elle est dans les Éclats infiniment plus soutenable que dans American Psycho – qui d’un point de vue symbolique restent porteurs d’une critique engagée des mœurs de son temps. Comment mieux traduire l’homophobie et la culture des Preppies qu’à travers la descente aux enfers d’un personnage contraint de développer une personnalité de façade – « le participant palpable » dans la traduction des Éclats – et d’anesthésier son mal-être à grands coups de barbituriques et benzodiazépines ? Comment mieux traduire les privilèges de la caste des ultras riches qu’en mettant en scène un meurtrier certes à tendance schizophrène, qui s’en sort indemne et continue tranquillement son existence, à l’issue d’un procès un peu douteux?

Sur ces paroles, je vous conseille fortement la lecture des Éclats, qui est le premier roman que je lis d’Ellis et qui m’a furieusement donné envie de lire les autres et surtout Moins que zéro dont il est fait mention tout au long de l’histoire. Pour être honnête, je n’ai pas été transcendée par cette lecture, mais je l’ai traversée comme emportée sur des eaux vives, presque sans ressentir d’ennui, et souvent troublée par la profondeur et l’authenticité ressenties à la lecture de certains passages.

Comme chez S. King, j’ai apprécié la force avec laquelle l’auteur est parvenu à installer une atmosphère propre au lieu et à l’époque où se déroule l’histoire. J’ai été vaguement intriguée par l’immersion proposée dans un esprit tortueux et ambigu, finalement malade, me renvoyant quelquefois à mes propres peurs, intriguée aussi par le rapport de l’auteur à la fiction qui transparaît par endroits dans l’histoire et qui m’a reconnectée à mon propre rapport à l’écriture.

Chez Ellis, comme elle est sans doute aussi chez moi, l’écriture est cathartique, et à ce titre doit demeurer absolument sincère, et surtout sans limite.

M.

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